• BW

     

    Livre.jpgBW de Lydie Savayre (Le seuil, 2009)
     

    C'est un livre dont Lydie Salvayre n'aurait sans doute jamais eu l'idée si l'homme qui partage sa vie, dont les initiales sont BW n'avait un jour de mai 2008 eu de graves problèmes à un oeil. Plusieurs opérations et, l'obligation de rester couché, dans le noir, aveugle, pendant 3 semaines en attendant de connaître le verdict... 

    Ce livre lui est donc tombé dessus, comme cette affreuse nouvelle.


    Et vous, que feriez vous si l'homme de votre vie subissait ce sort?


    Vous ferez comme elle, vous lui tiendriez compagnie, vous l'écouteriez. Car cet homme a besoin de parler, de remonter dans ces souvenirs depuis l'enfance, cet homme a besoin de laisser sortir ce qu'il a en lui, et il le fait sans complaisance. 

    Et lorsqu'il se tait, elle le questionne, pour qu'il continue, pour que ces instants interminables ne se passent pas dans le silence, pour qu'il ne reste pas seul avec son angoisse.

    Image-15.pngAlors, dans le huis-clos de la chambre où seule est admise la chatte Camille, Lydie Salvayre qui est écrivain ( je déteste écrivaine ! ) prend des notes, elle essaie de retranscrire ce qu'il confie sans y mêler ses propres sentiments, sans intervenir en essayant de rester la plus fidèle possible à ce qu'il exprime.


    Pourquoi ce livre est intéressant? 

    Parce que BW n'est pas n'importe qui.

    C'est un homme qui dès 22 ans a vadrouillé, qui a bourlingué, à pied, en 4X4, à cheval, qui a parcouru la Turquie, l'Iran, l’Irak, le Népal, l'Afghanistan, le Kurdistan, l'Inde, l'Australie, le Cachemire, dans les années 70, à l'époque où le monde était autre.

    A la frontière népalo-tibétaine, il a escaladé pendant 20 jours à la limite du supportable le Shishapangma; jusqu’à 6200m, jusqu’au moment où il a «atteint cet état limite, attirant, dangereux, fatal s’il se prolonge, où l’épuisement se renverse en extase, où la marche se mue en ivresse, où l’on se sent plus près du ciel que de la terre. Là où commence une zone qui n’est plus tout à fait à la mesure humaine.»


    BW est un homme qui aime partir.

    "Il aime le mouvement de partir. Il se fout de l’endroit à atteindre, ce qu’il aime c’est partir, c’est déclarer qu’il part."

    Lydie Salvayre qui est pédo-psychiatre "dans le civil" comprend que BW part de la maison très jeune, fait des fugues, pour attirer l'attention de sa mère dont il se sent mal aimé. 

    «Aujourd’hui encore, il lui arrive de se demander s’il n’a pas accompli tous ces voyages et amorcé tous ses départs (dix, vingt, trente, il ne sait plus) dans l’unique et fol espoir de bouleverser sa mère, dans le désir insensé de la voir trembler pour lui et réclamer à cor et à cri un peu de sa présence»

    Et, toujours il restera un écorché vif, et toujours il conservera ce goût du départ.


    BW c'est aussi un jeune homme qui a été champion de France

    d'athlétisme, dans la discipline du 4 X 800 mètres, et sélectionné pour les jeux olympiques de Mexico.

    Mais là encore, il part, il laisse tomber avant, il ne sera pas la fierté de Clermond-Ferrand où il vivait à l’époque et où il devait parcourir les rues, porteur de la flamme olympique. NON, la discipline de la fédération l'étouffe, c'est un homme qui ne plie pas, un homme indocile, un homme debout, un homme droit qui se tient vertical.


    Verticales, c'est justement le nom de la maison d'édition qu'il a fondée; car BW est un amoureux des livres, et il passe 30 ans de sa vie à lire, a découvrir des auteurs, à les aimer, à les publier (Yves Pagès, François Bégaudeau,  Arnaud Cathrine, Pierre Senges, Jean-Marc Lovay, Gabrielle Wittkop, Lydie Salvayre et Régis Jauffret entre autres).


    Le problème, c'est que si éditer des auteurs qu'il aime est vital pour lui, vendre des livres ne l'intéresse pas. Et cela a fini par lui peser, cette dérive de l'édition vers le culte du profit, cette façon de considérer les livres comme des produits, cette exigence de faire du "commercial" au lieu de privilégier la qualité. Et comme il est à l’heure du bilan, dans sa nuit profonde, il décide, là aussi, de plaquer l’édition avant qu’elle ne le plaque.

    «BW a aimé l’édition corps et âme. Il a rompu avec elle à peine a-t-il compris qu’il devrait désormais spéculer, négocier, marchander, opter pour des choix raisonnables.....

    Il a rompu avec elle plutôt que de forfaire à une certaine idée qu’il s’en faisait. 

    Il a rompu avec elle avant que ne commence le dégoût de lui même.»


    BW est, physiquement et moralement, un homme fait tout d’un bloc, entier, bourru sans doute, excessif sûrement, mais qui finalement nous émeut beaucoup. Sans doute parce que nus le voyons un peu avec le regard amoureux et admiratif de L. Salvayre mais aussi parce que nous le rendent attachant,  les blessures qu’il porte en lui. 

    La plus douloureuse, c’est l’expérience de l’horreur qu’il a vécue au  cours d’un séjour professionnel au Liban. Cette blessure là ne se refermera jamais. L. Salvayre se souvient qu’en 1985 la vision de «ces scènes le réveille quasiment chaque nuit. Je le trouve dressé sur le lit, trempé de sueur, l’oeil aux aguets, ne bouge pas! Et il lui faut bien cinq bonnes minutes avant de réaliser qu’il n’est pas fouillé par des moukhabarats surexcités, ni visé par un sniper posté sur le toit d’un immeuble, ni maintenu sur le capot d’une voiture par trois miliciens camés à mort et qui le fouillent en hurlant des imprécations dont il ne comprend pas le sens»  Tout cela se calmera, un peu, lorsqu’il écrira un livre d’amour pour le Liban «Paysages avec palmiers» (Gallimard, 1990) dont les mots nous touchent à bout portant. 


    Excusez-moi, j'ai été un peu longue, mais j’espère vous avoir donné envie de lire ce dernier roman de L. Salvayre paru lors de la rentrée littéraire de l’automne dernier. (Je vous rassure, les opérations qu’il a subies ont considérablement réduit ses problèmes de vue).


    J’ai eu la chance de rencontrer BW en février 2007, un an avant ses problèmes. Il était venu avec François Bégaudeau assister à l’une des représentations du spectacle que mon fils a tiré d’un roman de ce jeune auteur dont on a beaucoup parlé par la suite.

    Inutile de vous dire que mon fils a une admiration sans borne pour cet ami hors du commun.


    Image-14.pngSi vous êtes curieux, vous trouverez son nom sur WIKIPEDIA


    La musique que vous écoutez, BW l’a écoutée des centaines de fois et l’offrait à ses amis. Dans le livre on trouve cette «Petite leçon de musique: avec My favorites things, Coltrane reprend le thème d’une valse écrite par Richard Rogers et interprétée par Julie Andrews dans La mélodie du bonheur.

    Tu vois, dit BW, j’attends toujours d’un écrivain qu’il fasse de la langue commune ce que Coltrane fit de cette chansonnette à la con. Crois-tu que c’est possible? J’aimerais tant.»


     

     


     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 17 Février 2010 à 14:45
    dalinele

    à la lecture de tous ses voyages, ses expériences, la pensée qui m'est venue est l'étonnement devant l'angoisse dont tu parles...c'est sans doute idiot de ma part?.... j'aurais espéré qu'autant de vie de qualité donnait accès à la sagesse sereine.  bon c'est rigolo, ce titre à la mystérieuse, pour ensuite raconter sa vie... je feuilletterai avant de lire...  merci de nous en avoir parlé longuement cependant, on a un aperçu très documenté.

    2
    Jeudi 18 Février 2010 à 20:46
    hélène
    bernard Wallet , tu en parles avec une telle émotion que tu nous donne l'envie d'aller lire ce livre tout de suite !!!! et j'adore qu'on me conseille un livre !
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