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Samedi poésie: L'inconnue - Alexandre Blok
Alexandre Alexandrovitch Blok est un poète russe né fin 1880. Sa famille est aisée et il fréquente le milieu aristocratique.
Son mariage fut rapidement un désastre et il mène alors une vie privée assez tumultueuse fréquentant prostituées et tziganes. Cette vie affective tourmentée lui inspirera des oeuvres qui font de lui le chef de file du mouvement symboliste russe.
Le poème que je vous présente aujourd'hui est l'un des ses plus connus et a été traduit dans toutes les langues.
L'inconnue
Après le dîner, sur les restaurants,
L'air visqueux brûle, glauque, étouffant,
Et le printanier esprit putrescent
Surnage des cris rauques de soûlards.
En haut de la rue sale à peine luit
L'enseigne d'or de la boulangerie,
Et dans l'ennui des villas de banlieue,
L'on entend geindre un enfant qui crie.
Chaque soir, derrière les barrières,
Se promènent les filous, les roublards,
Leur chapeau melon en arrière
Avec les dames près des caniveaux.
Sur le lac grincent les tolets des rames,
Retentit le cri strident des femmes.
La lune blasée là-haut dans le ciel
Fait grimacer son disque sans raison.
Soir après soir, au fond de mon verre
Vient se refléter mon unique ami,
Par l'âpre et mystérieuse moiteur,
Coi comme moi, comme abasourdi.
Tandis qu'aux tables voisines passent
Des serveurs somnolents qui paradent,
Quelques ivrognes aux yeux de lapins
Qui braillent leur « In vino veritas ! »
Pourtant, chaque soir, à la même heure,
(ou bien n'est-ce là qu'un de mes rêves ?)
Forme élancée de soie enroulée,
Bouge au-delà d'une fenêtre embuée.
Et, lentement, parmi les gens ivres,
Sans compagnie, toujours solitaire,
Respirant les parfums et les fumées
Elle vient s'asseoir près de la fenêtre.
Et les croyances anciennes remuent
Ses onduleuses soies élastiques,
Et son chapeau aux plumes endeuillées,
Et dans ses bagues ses doigts effilés.
Captivé d'étrange proximité,
À travers son obscure voilette,
J'entrevois des rivages enchantés,
De bienheureux lointains émerveillés.
D'obscurs mystères me sont révélés.
À moi l'on confie tout l'or de quelqu'un.
Et tous les rayons d'or de mon âme
Sont noyés dans l'âpreté du vin fort.
Les plumes d'autruche toutes courbées,
Balancent en mon cerveau allumé.
Et les yeux bleus où je vais me noyer
Fleurissent sur des rivages lointains.
Dans mon âme repose un trésor,
Je suis le seul à en avoir la clé.
Eh ! tu as raison, — monstre ivre-mort !
Je sais — dans le vin est la vérité !
Alexandre BLOK (1880 - 1921)
Traduction Serge Venturini
Portrait d'une inconnue (1883) - Ivan Kramskoï
Galerie Trétiakon - Moscou - Russie
Buste d'une inconnue - Terre cuite 1802
Joseph Chinard
Tags : inconnue, soir, ami, blok, alexandre
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Commentaires
de belles oeuvres pour illustrer ce poème désespérant de tristesse, et en même temps.... in vino veritas? hé bé! je vais avoir du mal à la trouver!
Belle ambiance dans cet article!! La beauté d'une inconnue..dans un cadre plutot angoissant (je parle de la poésie!!!)
J'aime tout particulièrement la peinture, ce regard de petite bourgeoise arrogante a un coté hypnotique je trouve.
j'aime beaucoup ce poème et je comprends l'attrait des prostitituées sur les hommes;étant poourtant!!!lol!!!unefille,j'étais fascinée par ces femmes en fourreau de soie,fume-cigares,juchées sur d'immenses talons-hauts;des Ava Garner,des Greta Garbo...aussi belles que des stars!!!c'tait des Américaines,à la Rotonde à Casablanca,j'avais à peine 8 ans!je me disais tout au fond de moi quans je serai grande je serai prostiuée!!lol!!j'ai loupé ma vocation!
Très beau le tableau de l'inconnue et le buste sculpté!
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Merci pour la découverte de ce poète et pour ce magnifique portrait de Kramskoï. Bon WE.